AUTISME & TROUBLE NARCISSIQUE

UNE DYNAMIQUE RELATIONNELLE COMPLEXE

INTRODUCTION

Au fil de mes discussions avec mes amis et connaissances autistes, j’ai observé une tendance préoccupante : ces personnes, diagnostiquées avec un TSA impliquant souvent des compétences linguistiques et intellectuelles normales, voire très supérieures à la moyenne (ce qu’on appelait avant « le syndrome Asperger », un terme qui n’est plus reconnu par le DSM-5), se sont engagées de manière récurrente dans des relations toxiques avec des personnalités marquées par des traits narcissiques et toxiques.

Cette constatation m’a conduit à réfléchir aux synergies qui se créent entre ces deux profils. L’objectif de ce quatrième texte, qui a demandé un long travail de réflexion, est de fournir des pistes subjectives d’analyse pour tenter de mieux appréhender cette dynamique complexe, ainsi que les défis uniques auxquels ces deux profils sont confrontés dans leurs rapports amicaux ou amoureux.

Je précise que je préfère utiliser dans ce texte l’expression « trouble de la personnalité narcissique » plutôt que l’appellation « perversion narcissique ». Mon choix est dicté par le constat qu’une pathologie narcissique repose sur des critères diagnostiques établis et validés par la recherche clinique, permettant une évaluation précise et nuancée des comportements.

En revanche, « perversion narcissique » est une terminologie non reconnue par la communauté scientifique, et donc absente du DSM-5. Elle est, toutefois, couramment utilisée dans le langage populaire, parfois de manière outrancière, simpliste et stigmatisante. Par ailleurs, l’étiquette « Pervers Narcissique » est pléonastique. En effet, un pervers est de facto narcissique, mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai.

Mon approche étant de privilégier la nuance autant que faire se peut, il me paraissait important de rédiger ce préambule.

Ainsi, dans ce texte, pour des raisons de commodité, chaque profil sera désigné par les abréviations suivantes :

– PATSA (Personne Ayant un Trouble du Spectre de l’Autisme) ;

– PATPN (Personne Ayant un Trouble de la Personnalité Narcissique).

Je précise encore que le terme TSA est général et englobe un large éventail de manifestations cliniques et de degrés de sévérité des troubles du développement neurologique.

Toutefois, pour des raisons de commodité de lecture, le sigle PATSA désigne exclusivement dans le présent texte les personnes autistes sans déficience intellectuelle.


I. CE QUI RASSURE LA PATSA DANS UNE RELATION
AVEC UNE PATPN

Pour une PATSA, plusieurs aspects d’une relation avec une PATPN peuvent sembler rassurants, bien que cette dynamique soit intrinsèquement toxique.


a. Clarté et structure apparente

La PATPN est souvent caractérisés par une façade très définie et structurée, surtout au début de la relation. Pour la PATSA, qui peut éprouver des difficultés avec l’ambiguïté et les signaux sociaux subtils, cette clarté apparente peut offrir un semblant de sentiment de sécurité.

La PATPN peut fournir des directives explicites et une vision du monde très articulée, ce qui permet à la PATSA de comprendre et de prédire le comportement de l’autre, du moins en surface.


Exemple concret :

Sarah (PATSA) commence une relation avec Marc (PATPN). Au début, Marc est très clair sur ses attentes et ses objectifs. Pour Sarah, cette clarté est un soulagement par rapport à la complexité des interactions sociales typiques. Marc établit des règles strictes et des routines qui fournissent à Sarah un cadre précis. Cependant, cette structure apparente masque des intentions manipulatrices, que Sarah, ayant du mal à saisir les nuances sociales, n’identifie pas immédiatement ou choisit d’ignorer en rationalisant ce qu’elle ne comprend pas.


b. Validation initiale

La PATPN est souvent habile à flatter et à offrir une validation initiale. Pour la PATSA, qui peut éprouver des difficultés à établir des relations sociales et à recevoir des retours positifs, cette validation peut sembler un signe de reconnaissance et d’acceptation. Cette reconnaissance, bien que manipulatrice, constitue une forme de validation particulièrement valorisante pour une personne qui lutte pour naviguer dans des interactions sociales complexes.


Exemple concret :

Jean (PATSA) reçoit des compliments constants de la part de sa partenaire, Alice (PATPN). Alice flatte Jean en le qualifiant d’exceptionnel et d’unique, ce qui répond à son besoin de validation.

Jean, qui éprouve des difficultés à recevoir des retours positifs dans ses interactions quotidiennes, se sent valorisé et spécial, ce qui renforce son attachement à Alice, malgré les signes subtils de manipulation qu’il peut déceler mais dont il ne saisit pas les intentions.


c. Prévisibilité

La prévisibilité de la PATPN, bien que manipulatrice, peut sembler moins déconcertante pour la PATSA comparée à l’incertitude des interactions sociales typiques. La répétition de ces schémas de manipulation peut être plus facile à identifier pour la PATSA, même si ces comportements sont négatifs, offrant ainsi un sens de structure et de prévisibilité dans le chaos émotionnel qu’elle ressent.


Exemple concret :

Sarah (PATSA) observe que son partenaire, Marc (PATPN), adopte une série de comportements réguliers : il la couvre de compliments avant de lui faire des critiques sévères. Pour Sarah, cette alternance prévisible, bien que douloureuse, crée un schéma qu’elle peut anticiper. Cette prévisibilité est en quelque sorte plus facile à gérer pour elle que les comportements imprévisibles et moins structurés que pourrait manifester quelqu’un de neurotypique.


II. CE QUI DÉSTABILISE LA PATSA DANS UNE RELATION
AVEC UNE PATPN

Malgré ces aspects rassurants, plusieurs caractéristiques de la PATSA rendent cette relation particulièrement déstabilisante :


a. Manipulation subtile

Les PATPN utilisent des tactiques de manipulation subtiles, telles que le gaslighting (faire douter une personne de sa perception de la réalité) et les variations de comportement (alternance entre affection et dénigrement). Pour la PATSA, qui peut rencontrer des difficultés à interpréter et à réagir aux signaux émotionnels nuancés, ces tactiques peuvent engendrer confusion et stress, augmentant l’impact négatif sur son bien-être mental.


Exemple concret :

Marc (PATPN) utilise le gaslighting en disant à Sarah (PATSA) qu’elle est trop sensible chaque fois qu’elle exprime son inconfort face à ses critiques. Sarah, rencontrant des difficultés à interpréter les subtilités émotionnelles, commence à douter de sa propre perception de la réalité, ce qui augmente son stress et son anxiété. Cette manipulation savante aggrave son désarroi, car elle n’est pas en mesure de décoder pleinement les intentions derrière les paroles de Marc.


b. Difficultés avec les ambiguïtés émotionnelles

La PATSA peut éprouver une difficulté accrue à vivre les ambiguïtés émotionnelles et les manipulations psychologiques, rendant la gestion de la relation avec une PATPN particulièrement complexe.

Les interactions émotionnelles ambiguës ou contradictoires sont ardues à décoder pour la PATSA, ce qui peut mener à des malentendus, régulièrement initiés par la PATPN, et à une détérioration rapide de son bien-être émotionnel.


Exemple concret :

Jean (PATSA) reçoit des messages paradoxaux d’Alice (PATPN) : elle le critique sévèrement un jour pour son comportement, puis le traite avec une affection exagérée le lendemain. Jean, qui a du mal à interpréter les intentions derrière les signaux émotionnels complexes, se trouve désorienté et incapable de réagir de manière appropriée. Cette incohérence émotionnelle bouleverse profondément sa faculté à établir des frontières saines dans la relation.


c. Besoin de contrôle

Les PATPN utilisent souvent des tactiques pour maintenir une pression psychologique sur l’autre. La PATSA, qui a tendance à préférer les environnements contrôlés et prévisibles, peut être ébranlée par les tentatives de coercition et de manipulation de la PATPN, entraînant un stress supplémentaire et une difficulté accrue à maintenir des limites personnelles.


Exemple concret :

Jean (PATSA) privilégie des espaces où il peut anticiper les événements. Alice (PATPN) exploite cette préférence en changeant fréquemment les règles du jeu ou en imposant des conditions nouvelles de manière capricieuse.

Ce manque de constance, bien qu’éventuellement destiné à maintenir le contrôle, est particulièrement perturbant pour Jean, qui se retrouve souvent désorienté et stressé.


III. LA RIGIDITÉ COGNITIVE DE LA PATSA 

Un atout non négligeable

Les PATSA présentent souvent une rigidité cognitive marquée, qui se manifeste par un besoin intense de cohérence et une difficulté à tolérer les incohérences. Cette rigidité peut se révéler être un atout redoutable, dont la PATSA n’a pas forcément conscience, dans ses interactions avec la PATPN, dont le comportement est caractérisé par des contradictions et des manipulations subtiles.

En raison de sa tendance à rechercher la logique et la prévisibilité, la PATSA peut mettre en lumière les incohérences dans le discours et les actes de la PATPN, la confrontant directement à ses propres contradictions.


Deux exemples concrets :

Sarah (PATSA) se trouve en relation avec Marc (PATPN). Marc adopte un comportement fluctuant, alternant entre éloges et critiques sans explication cohérente. Sarah, qui a une forte aversion pour les incohérences, commence à noter ces contradictions et à questionner Marc avec précision sur les changements dans ses attentes. Cette approche analytique, axée sur la recherche de cohérence, expose les manipulations de Marc de manière claire et implacable.

Déstabilisé par la rigueur logique de Sarah, Marc se trouve contraint de justifier ses incohérences, par de fausses raisons, rendant ses tactiques manipulatrices moins efficaces.

Alice (PATPN) utilise le gaslighting pour troubler Jean (PATSA). Jean observe des contradictions dans les accusations d’Alice et commence à documenter les incohérences. Lorsqu’il confronte Alice avec des preuves concrètes de ses contradictions, il la force à faire face à la réalité de ses manipulations. Cette confrontation directe, où la rigidité de Jean dans l’exigence de cohérence met en évidence les incohérences d’Alice, crée une situation défavorable pour la PATPN, qui est généralement moins préparée à gérer une analyse rigoureuse et factuelle de ses actions.


Ainsi, la rigidité cognitive des PATSA, loin d’être une faiblesse, se révèle être une arme efficace contre les PATPN. Leur besoin de cohérence expose les failles des manipulations de la PATPN et rend ces dernières beaucoup moins opérantes, mettant en lumière les incohérences et les contradictions dans leur comportement.

Toutefois, la PATSA n’aura pas pour autant conscience du caractère volontaire des manipulations et attaques du PATPN à son encontre et pense souvent aider sa ou son partenaire, son amie ou ami, à évoluer en le confrontant directement.

La PATSA n’en reste pas moins, heureusement pour elle, une adversaire redoutable… qui s’ignore dans la majorité des cas.


CONCLUSION

L’analyse de la dynamique entre une PATSA et une PATPN révèle une interaction complexe où les caractéristiques de la PATSA peuvent initialement sembler favoriser une certaine stabilité dans des relations marquées par des manipulations.

Toutefois, les manipulations subtiles, les ambiguïtés émotionnelles, et la tentative de contrôle peuvent durablement perturber les PATSA. Paradoxalement, sa résistance à la manipulation et sa sensibilité aux incohérences en font une adversaire difficile pour la PATPN.

Une compréhension approfondie de ces dynamiques est cruciale pour développer des stratégies d’intervention adaptées, permettant ainsi aux PATSA de naviguer plus efficacement dans des relations potentiellement toxiques auxquelles elles peuvent s’habituer, en raison d’une illusion de confort.